Selon Igor Stravinsky, la musique de film peut avoir une valeur comparable à celle d’un « papier peint ». Bien que le terme soit péjoratif, c’est ainsi que la musique de film a longtemps été considérée. Le spectateur en est le premier responsable, car il peut ne pas avoir conscience de la dimension auditive d’un film. Son attention se porte principalement sur le visuel et nous parlons encore de nos jours « d’aller voir un film » au cinéma. De nombreux théoriciens ont également fait l’impasse sur le sujet en associant à la musique un caractère secondaire et mineur par rapport à l’image. Toutefois, nous ne devons pas exclure que certains films proposent une bande sonore qui n’a pas d’autre valeur que de meubler musicalement le film. Outre la volonté de signifier et de doubler l’intensité de l’action, la musique se contente de constituer une fresque sonore sans réellement proposer de point de vue audio-visuel. La majorité des séries « B », les documentaires et les émissions de télévision sont accompagnés d’une musique qui double l’action en permanence. De plus, celle-ci a tendance à accompagner le film du début à la fin et marque très peu d’interruptions. Loin de vouloir dénigrer le travail d’un grand maître, c’est toutefois le cas dans la saga Star Wars. Nous aurons l’occasion de souligner dans un prochain billet, que la musique composée par John Williams est grandement influencée par les opéras wagnériens, notamment au travers de l’utilisation de thèmes mélodiques très marqués et du leitmotiv. Nous pouvons penser que la musique ainsi conçue comme un opéra cinématographique n’a pas vraiment sa place dans le domaine audio-visuel. Selon Adorno et Eisler (La musique de cinéma), le leitmotiv et l’utilisation de la mélodie tonale dans le domaine cinématographique ne permettent pas d’avoir le même impact que dans les opéras de Wagner.
La musique de film ne peut pas être appliquée de la même manière au cinéma et à l’opéra, car ce sont deux genres différents. Ainsi, qu’en est-il de la pertinence d’une musique présente du début à la fin du film ? Dans le domaine cinématographique, je pense que la musique possède un intérêt supérieur à celui d’accompagner les images.
Le cas de la musique dans la télé-réalité.
Pour illustrer l’opinion de Stravinsky quant à l’idée d’une musique « papier peint », intéressons-nous à la musique présente dans les télé-réalités. Il n’est pas rare de retrouver dans ces dernières, de nombreux réemplois du répertoire musical. Toutefois, alors que la musique appelle à un système de tension et de détente, la production de ces émissions ne considère pas vraiment cette dimension artistique. Afin de garantir un certain audimat, il est nécessaire de garder le spectateur, de le capter, et de créer un rapport de dépendance en usant des effets de tension. Aussi, la production de ces émissions impose une pression permanente et sans résolution qui a tendance à fatiguer l’oreille, car nous sommes constamment en alerte, dans le suspens d’une avalanche d’actions artificielles toutefois interrompu par les pages publicitaires. Les musiques des télé-réalités, dont nous pouvons nous amuser à retrouver leurs origines de part et d’autre du répertoire musical, se limitent généralement à utiliser des codes audio-visuel relativement pauvres (représentation de la tristesse par le mode mineur, etc.). Pour le coup, nous obtenons une musique qui ne trouve son adéquation avec l’image que dans l’émotion qu’elle suscite. Nous pouvons alors parler sans abus de langage d’une musique « papier peint ».